Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les droits d’exploitation d’une œuvre cinématographique (sans jamais oser le demander)

CJUE, 9 févr. 2012, aff. C-277/10, Martin Luksan c/ Petrus van der Let 

Marc Le Roy
Docteur en droit
www.droitducinema.fr

Article paru dans le Lamy droit de l'immatériel de mai 2012, page 52

L’exploitation d’une œuvre cinématographique est souvent sa raison d’être. La répartition des droits d’exploitation d’une telle œuvre entre le producteur et le réalisateur peut s’avérer épineuse. La Cour de justice de l’Union européenne a clairement rappelé le 9 février dernier les différentes règles encadrant la cession de ces droits d’exploitation du réalisateur au producteur.  
Le litige soumis à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) trouve son origine dans un contentieux opposant un réalisateur autrichien à son producteur. M. Luksan est le réalisateur d’un film documentaire  traitant de la photographie de guerre allemande pendant la seconde guerre mondiale. M. Luksan a conclu en mars 2008 un contrat de réalisateur et d’auteur avec un producteur : M. van der Let. Le contrat prévoit que M. Luksan est scénariste et réalisateur du film en question et que M. van der Let produira et exploitera le film. M. Luksan a cédé à son producteur les droits d’exploitation de ce film. Pour autant, la cession excluait expressément certains modes d’exploitation comme la mise à disposition du public sur des réseaux numériques ainsi que la diffusion par voie de « closed-circuit télévision » et de « pay TV » c'est-à-dire, comme le précise la CJUE, la diffusion auprès de cercles fermés d’utilisateurs, en contrepartie d’un paiement séparé. De plus, le contrat ne comportait aucune disposition concernant le droit à rémunération pour copie privée appelée « compensation équitable » dans le droit de l’Union. Malgré cela, le producteur a rendu le film disponible sur internet en vidéo à la demande (VOD), a mis la bande annonce du film sur le site internet You Tube et a cédé les droits de « pay TV » à Scandinavia TV. En conséquence, M. Luksan assigne son producteur devant le Handelsgericht Wien (Tribunal régional commercial autrichien situé à Vienne). M. Luksan soutient que son producteur a violé les dispositions du contrat en exploitant son œuvre par le biais de modes de diffusion qui lui étaient réservés. Pour se défendre, M. van der Let soutient que l’UrhG (loi fédérale autrichienne sur le droit d'auteur dans les œuvres de la littérature et l'art et des droits voisins) prévoit en son article 38 qu’en cas de cession légale, la totalité des droits d’exploitation sur un film revient au producteur quand bien même le contrat en disposerait autrement. M. van der Let considère de plus que le droit à rémunération pour copie privée connaît le même sort que les droits d’exploitation et que le contrat lui attribue en conséquence la totalité de ce droit à rémunération en l’absence de clause contraire.
Saisi de ce contentieux, le juge autrichien considère que la loi autrichienne relative au droit d’auteur implique, de par l’article 38 paragraphe 1 de l’UrhG, que la titularité originaire et directe des droits d’exploitation appartient au seul producteur du film. La loi ne prévoit donc pas de cession légale ou de transfert des droits car ces derniers appartiennent originairement au producteur. Le juge rappelle que selon ce même article, les conventions qui dérogeraient à ce principe seraient nulles. Pour ce qui est des droits à rémunération pour copie privée, le même article dispose qu’ils reviennent pour moitié au producteur et pour moitié à l’auteur du film sauf convention contraire. Estimant que cet article 38 contreviendrait au droit de l’Union, le juge autrichien sursoit  à statuer et interroge la CJUE sur la compatibilité de cet article avec le droit de l’Union. Le Handelsgericht Wien pose à la CJUE les questions suivantes :

Au-delà de la situation du droit autrichien, les réponses à ces questions permettront aux Etats membres, et donc à la France, de déterminer si leur législation est en accord avec le droit de l’Union tel qu’interprété par la CJUE. En l’espèce, la Cour estime que le droit de l’Union prévoit que le réalisateur d’une œuvre cinématographique dispose du droit de propriété intellectuelle sur cette œuvre et qu’une législation nationale ne peut donc pas attribuer originairement les droits de cette œuvre au producteur (I). Une présomption de cession des droits d’exploitation en faveur du producteur est autorisée sous réserve que la présomption soit réfragable et que le réalisateur du film puisse en convenir autrement (II). Pour autant, la Cour estime que le droit à la rémunération pour copie privée qui doit, pour moitié, bénéficier originairement au réalisateur du film, ne peut ni faire l’objet d’une présomption automatique de cession en faveur du producteur du film, ni faire l’objet d’une renonciation (III).

La suite dans le Lamy droit de l'immatériel de mai 2012, page 52

 

Marc Le Roy

Docteur en droit

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