Classification des œuvres cinématographiques : le Conseil d’Etat modifie largement sa jurisprudence sur la prise en compte des scènes de sexe non simulées

Marc Le Roy
Docteur en droit
Chargé de cours à l’Université de Tours

La classification des films exploités en salles de cinéma aura connu une année 2015 mouvementée. Après l’annulation par le Conseil d’Etat du visa d’exploitation du film Saw 3D, ce fut au tour du film Love de Gaspar Noë de défrayer la chronique et de remettre en cause le bon fonctionnement des interdictions d’accès aux salles du jeune public. Véritable feuilleton de l’été, le contentieux entourant l’attribution du visa du film Love aura donné au Conseil d’Etat l’occasion de revoir profondément sa jurisprudence en termes de classifications attribuées en raison de la présence de scènes de sexe à l’écran.
Annoncé comme un film d’amour aux images particulièrement crues et réalistes en termes de sexualité, le film Love est sorti dans les salles de cinéma françaises le 15 juillet 2015. Rapidement après cette sortie l’association Promouvoir coutumière de ce type de recours décide de contester devant le Tribunal administratif de Paris la légalité du visa d’exploitation attribué à ce film par la ministre de la culture. Rappelons que l’attribution de ce visa a été particulièrement mouvementée et est intervenue en pleine polémique entourant l’annulation du visa du film d’horreur Saw 3D. Soucieuse de ne pas être confrontée à une nouvelle annulation devant la justice administrative, la ministre de la culture autorité compétente pour attribuer les visas des films distribués en salles de cinéma a demandé un nouvel avis à la commission de classification du CNC. Cette dernière est chargée de donner un avis de classification au ministre de la culture que ce dernier est libre de suivre. La commission a, dans un premier temps, recommandé à la ministre d’attribuer un visa interdisant aux mineurs de moins de 16 ans de voir le film. La commission a, dans un second temps, maintenu cette recommandation lors de son nouvel avis sollicité par la ministre de la culture. Cette dernière a finalement suivi la commission en attribuant au film un visa d’exploitation assorti d’une interdiction aux moins de 16 ans. Saisi par le bais d’un référé suspension par l’association Promouvoir, le Tribunal administratif de Paris a décidé en urgence de suspendre le visa du film Love en estimant que ce visa n’était pas adapté au contenu du film. Le tribunal note ainsi dans son ordonnance « que si l’ambition du film est de proposer le récit brut d’une passion amoureuse, les scènes précitées, par leur répétition, leur réalisation, leur importance dans le scénario, comportent une représentation des relations sexuelles qui, sans toutefois caractériser des scènes à caractère pornographique et nonobstant la volonté artistique du réalisateur, sont de nature à heurter la sensibilité des mineurs et, par conséquent, à justifier une interdiction de ce film aux mineurs de dix-huit ans ».
Mécontentés par cette décision, le distributeur du film Love ainsi que la ministre de la culture ont effectué un recours en cassation devant le Conseil d’Etat pour contester l’ordonnance du Tribunal administratif de Paris. Le Conseil d’Etat devait alors déterminer si, au vu de son contenu, le film Love méritait réellement un visa assorti d’une interdiction aux moins de 18 ans. Plus généralement, au-delà du cas particulier de ce film, il appartenait à la haute juridiction administrative de déterminer si un film contenant de multiples scènes de sexe particulièrement explicites devait obligatoirement être interdit aux mineurs ou pouvait être interdit uniquement aux moins de 16 ans. La jurisprudence administrative nous enseigne que la chose est tout à fait possible et s’est déjà produite à plusieurs reprises. Plusieurs films contenants des scènes de sexe non simulées se sont ainsi vu attribuer une simple interdiction aux moins de 16 ans y compris après intervention d’une juridiction administrative. Malgré cet état du droit, le Conseil d’Etat a décidé dans une décision particulièrement originale de confirmer la décision du Tribunal administratif de Paris tout en apportant des arguments nouveaux. Le Conseil d’Etat précise en modifiant sa jurisprudence qu’un film contenant des scènes de sexe non simulées doit impérativement être interdit aux mineurs. Le choix de classification doit alors s’opérer entre l’interdiction aux moins de 18 ans et le visa X réservé aux films pornographiques ou d’incitation à la violence. Plus précisément, les juges du Palais Royal profitent de cette décision pour apporter une précision bienvenue mais critiquable : le Conseil d’Etat donne pour la première fois dans l’une de ses décisions une définition d’une scène de sexe non simulée en se fondant notamment sur le critère de la dissimulation. Une scène de sexe non simulée sera ainsi une scène qui présente des « pratiques à caractère sexuel » « sans aucune dissimulation ».

Cette décision qui intervient après l’annonce de la ministre de la culture Fleur Pellerin de réunir une commission visant à proposer une réforme de la classification aurait pu être une simple décision d’espèce confirmant la jurisprudence classique du Conseil d’Etat. La haute juridiction administrative a finalement décidé d’apporter sa pierre à l’édifice de la réforme en apportant des précisions nouvelles et discutables qui pourront éclairer l’auteur du futur rapport visant à proposer des modifications au système de classification. Nous étudieront les apports de cette décision originale du Conseil d’Etat qui donne une définition discutable des scènes de sexe non simulées (I) tout en alourdissant la classification des films contenant de telles scènes (II).

La suite dans la revue Legipresse de novembre 2015, p. 604

 

Marc Le Roy

Docteur en droit

droitducinema.fr

 

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