Morcellement de l’audiovisuel par abonnement : le trop plein ?

Marc Le Roy
Docteur en droit spécialisé en droit de l’audiovisuel et du cinéma
Chargé d’enseignements à l’Université de Tours et au CEIPI
Auteur de Télévision, cinéma et vidéo à l’ère du numérique : comprendre l’audiovisuel à l’ère du numérique, DroitduCinéma, 2016

Chaque année voit apparaître son lot de nouveaux services audiovisuels. BeIn sports, RMC sport et demain Mediapro concurrencent Canal + en matière de diffusion du sport. Les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter commencent également à investir ce marché. Dans le domaine du cinéma et des séries les acteurs se multiplient aussi. Les chaînes traditionnelles doivent aujourd’hui faire face à la concurrence bien réelle de Netflix et d’Amazon et demain d’Apple et de Disney.
Il y a quelques années, un abonnement à Canal + donnait accès à la Ligue 1 de football, aux championnats étrangers du même sport ainsi qu’à la Ligue des Champions. La même chaîne proposait (et propose toujours) également les films récemment sortis en salles de cinéma ainsi que les quelques séries existantes de qualité. Aujourd’hui pour obtenir un accès à une offre similaire, il faut multiplier les abonnements. L’avenir verra l’offre audiovisuelle se fragmenter encore un peu plus. Canal + a déjà perdu les droits de diffusion des matchs de Ligue 1 au profit de l’espagnol Mediapro. Pour ce qui est des films et séries, l’arrivée imminente des services de vidéo à la demande de Disney et d’Apple risque également de tenter les spectateurs. La note pour le consommateur s’avère particulièrement salée. Si Canal + est accessible à moins de 40 euros par mois, l'empilement des divers services nécessaires pour disposer d’une offre cinéma-sport-série monte facilement au delà des 100 euros mensuels sans compter les abonnements aux réseaux de communications électroniques (mobile et fixe) indispensables pour recevoir ces différents services audiovisuels. Le consommateur-spectateur est-il prêt à suivre ? N’assiste-t-on pas à un trop plein d’offres qui pourrait nuire à la santé de ce marché ?
Le portefeuille des français n’est pas extensible à loisir et n’oublions pas qu’une concurrence illégale (le piratage) est toujours foisonnante. S’il semble évident que l'existence d’une offre légale de qualité reste le meilleur rempart contre le piratage, on peut s'interroger sur la question de savoir si une multiplication des offres - plus complémentaires que concurrentes - ne risque pas au contraire de relancer la consommation illégale des œuvres et des rencontres sportives. Il n’est en effet pas certain que les spectateurs ressortent gagnants de ce phénomène de fragmentation de l’offre. En manque de spectateurs, plusieurs services pourraient être amenés à regretter d’avoir acquis pour des sommes considérables des œuvres ou des manifestations sportives. Que l’on pense à RMC Sport qui a eu la désagréable surprise de constater qu’aucun club français n’a réussi cette année à passer les huitièmes de finale des deux compétitions de football européennes masculines… Au surplus, les plus aguerris aux nouvelles technologies pourront toujours se procurer un lien pour regarder les matchs de façon illégale et gratuite.
Les grands gagnants de ce morcellement des services sont les titulaires de droits des œuvres et des manifestations sportives : la multiplication des options de diffusion permet de faire jouer la concurrence à plein et de ne pas être captif d’un diffuseur. Pour autant, cet avantage pourrait ne plus en être un si les spectateurs désertent les offres légales soit en leur préférant les offres illégales soit en abandonnant purement et simplement l’idée de suivre telle série ou telle manifestation sportive devenue trop onéreuse à suivre. Les spectateurs doivent déjà faire des choix entre les différents services s’ils ne veulent pas trop dépenser. Rappelons que les différentes offres sont certes concurrentes mais les contenus de chaque service ne sont pas les mêmes, obligeant certains spectateurs à choisir pour des raisons de budget entre Stranger Things et Game of thrones, entre la Ligue 1 ou la Ligue des champions...
La solution à cette fragmentation réside probablement dans l’agrégation de ces différents services à des tarifs préférentiels. Amazon propose ainsi aux Etats-Unis un accès à certaines chaînes de télévision en accompagnement de son offre de vidéo à la demande. En France, Canal + a conclu des accords de partenariat avec BeIn Sport pour proposer des offres d'abonnement couplées aux deux chaînes à des tarifs préférentiels. Si beaucoup de services se livrent pour le moment à une concurrence sans merci, chacun devrait s’apercevoir qu’il n’y a pas de place pour tout le monde sans association commerciale entre les uns et les autres. HBO, la chaîne américaine reine des séries a ainsi conclu depuis longtemps un accord de diffusion avec les chaînes OCS en France et a, pour le moment, renoncé a lancer son offre de vidéo à la demande en nom propre (présente dans plusieurs pays européens) dans notre pays. Cette association permet une bonne visibilité et disponibilité des œuvres d’HBO tout en assurant l’attractivité d’OCS. Sans la multiplication de ce type d’agrégation, il se pourrait bien que les spectateurs viennent à manquer pour certains services.

 

 

Marc Le Roy

Docteur en droit

droitducinema.fr

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