La numérisation des salles en question(s) :

Dernière minute (30 septembre 2010): La loi sur la numérisation des salles est promulguée et publiée (cliquez pour obtenir le texte)

La numérisation des salles de cinéma implique une utilisation d'un support numérique (DVD, disques durs) pour la diffusion des films dans les salles et donc l'abandon des bandes argentiques traditionnelles. La transition est onéreuse pour les exploitants (salles) et permet aux distributeurs de gagner de l'argent car le prix de fabrication d'une copie numérique (à la charge du distributeur) est beaucoup plus faible qu'une copie argentique. Pour résumer, les distributeurs ont intérêt à ce que les exploitants s'équipent de projecteurs numériques le plus rapidement possible afin de gagner de l'argent sur chaque copie produite. Pour compenser le gain des uns et les pertes des autres, le marché propose une solution avec l'intervention d'acteurs appelés tiers investisseurs qui pratiquent la liaison entre distributeurs et exploitants. Le financement de la numérisation d'une salle est assuré en partie et temporairement par l'argent gagné par les distributeurs sur chaque copie distribuée. Pour autant, certaines salles n'intéressent pas ces acteurs car elles ne proposent pas un taux de rotation des films assez important pour rendre l'opération lucrative pour les distributeurs et les tiers investisseurs. Les pouvoirs publics, soucieux de ne pas marginaliser certaines salles, et donc certaines parties du territoire, dans l'attribution de films, ont proposé la mise en place d'un fonds de mutualisation géré par le CNC prévoyant le versement d'aides à la numérisation des salles restées hors marché. Ce projet a été soumis pour avis à l'Autorité de la concurrence (ex-Conseil de la concurrence). L'avis rendu le 1er février 2010 par l'Autorité critique vivement le projet public et note les risques importants d'atteinte à la concurrence qu'il engendre. L'Autorité recommande notamment la mise en place d'un système neutre pour les finances publiques et propose donc la création d'une taxe sur les distributeurs afin de permettre à l'Etat de redistribuer cet argent aux salles restées hors marché. Le financement se ferait donc par le mécanisme d'un fonds de péréquation (à la manière des télécoms) alimenté par une taxe sur les distributeurs qui ne participent pas à la numérisation des salles ayant un faible taux de rotation. Quelques jours plus tard, le CNC publie un communiqué de presse sur son site internet indiquant la nouvelle mouture du projet d'aide. Loin de prendre en compte l'avis de l'Autorité de la concurrence, le CNC propose un nouveau système qui, lorsque le marché est défaillant, permet à un fonds d'intervention d'aider à la numérisation. Le financement de ce fonds sera assuré par de l'argent public et éventuellement par la taxe préconisée par l'Autorité. L'action de ce fonds devra être coordonnée avec l'action des collectivités locales. Les cinémas de zone rurale pourront bénéficier d'un financement du grand emprunt, ce point ayant été annoncé par le Président de la République lui-même.

Il n'est pas certain que la Commission européenne voie d'un bon œil ce projet dans la mesure où, comme l'a rappelé l'Autorité dans son avis, le droit communautaire de la concurrence privilégie le financement de l'action publique en préconisant des solutions plus neutres pour les finances publiques. De plus, le CNC s'est certainement aperçu que certaines régions (l'Auvergne, le Limousin ou l'Aquitaine) ont expérimenté le versement de subventions à des cinémas indépendants afin de permettre leur passage au numérique. Le projet de loi devrait donc inciter voire imposer aux régions une aide à la numérisation. Il n'est pas certain que cette proposition soit du goût des collectivités dans le climat actuel de rébellion des ces dernières contre l'augmentation de leurs charges sans compensation financière par l'Etat.

Précisons pour conclure que la problématique de la numérisation et du cinéma devrait de nouveau relancer la question de l'intervention de la puissance publique car une fois les salles numérisées, encore faudra-t-il que les œuvres le soient également… engendrant de nouveau des problématiques d'intervention publique et de concurrence.

Pour aller plus loin :

- Le CNC met en place l’aide à la numérisation des salles de cinéma : cliquez ici

- La loi du 30 septembre remlative à l'équipement numérique des établissements de spectackes cinématographiques

- Marc Le Roy, La numérisation des salles du cinéma à l'épreuve du droit de la concurrence, revue Légipresse, septembre 2010, p. 211

- Marc Le Roy, Commentaire de loi loi du 30 septembre 2010, Légipresse, décembre 2010, p.437

-Philippe Mouron, Les salles de cinéma entre l'art et l'industrie, AJDA 2010, p. 1862

- Décision de l'Autorité de la concurrence

- Communiqué de presse du CNC annonçant le deuxième projet

- Rapport public sur la numérisation des salles

- Propositions de la Mission d'étude sur la numérisation des films et salles de cinéma de patrimoine et de répertoire

- Michel Bazex, Commentaire de l'avis de l'Autorité de la concurrence in Droit administratif, avril 2010

 

 

 

Marc Le Roy

Docteur en droit

droitducinema.fr

 

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