Ecrire et publier un article de droit : comment ça marche ?

 

Marc Le Roy
Docteur en droit
Novembre 2023

 

Les réponses aux questions qui suivent ne font que refléter ma propre expérience. Ces réponses pourraient être très différentes si on interrogeait une autre personne (il serait d’ailleurs intéressant de le faire, je vais m’y atteler). Je me suis prêté à cet exercice après plus de 15 ans d’écriture d’articles. J’ai commencé à écrire des articles en 2007, juste après ma soutenance de thèse. Je n’ai pas la science infuse sur la question, je ne fais ici qu’un rapide retour d’expérience sur la question en espérant que cela puisse informer quelques lecteurs. Notez bien que si je donne des cours à l’université depuis vingt ans, je ne suis pas universitaire (maître de conférence ou professeur), je n’ai donc aucune obligation de recherche. En conséquence, la publication d’un article ne me sert pas à faire avancer ma carrière d’universitaire.

 

Pourquoi écrire un article de droit ?

Je ne sais pas réellement. Je me pose la question depuis que j’ai commencé à écrire des articles juridiques après avoir terminé ma thèse en 2007. Je n’ai jamais vraiment arrêté d’en écrire depuis, un peu à la manière d’un fumeur qui allume une nouvelle cigarette avec celle qu’il est en train de terminer. Je fais pareil avec les articles : une fois un article terminé, j’enchaîne presque immédiatement avec la rédaction d’un nouvel article. Résultat, cela fait 15 ans que j’ai presque toujours un article en cours. Quel intérêt ? Je ne sais pas. Depuis quelques années, je me dis que c’est uniquement un plaisir personnel sans utilité réelle pour d’autres que moi. L’article va-t-il être lu ? Peut-être un peu mais pas beaucoup : les personnes susceptibles de s’intéresser aux sujets que je traite sont assez occupées et n’ont souvent pas le temps de lire de longs développements. Par contre, si mes articles ne sont pas forcément lus au moment de leur publication, ils pourront servir à un praticien un jour ou l’autre à l’occasion d’une recherche effectuée pour la réalisation d’un dossier. L’article va-t-il faire avancer la pensée juridique ? Je n’ai pas cette prétention. L’article vous permet-il de gagner de l’argent ? Non. Dans ces conditions, pourquoi écrire des articles de droit ? La seule réponse que j’ai trouvée (car je me pose la question depuis des années et il fallait bien trouver une réponse pour continuer) c’est d’une part le plaisir personnel et d’autre part la possibilité de s’améliorer. Pour écrire, il faut que cela vous plaise à un moment ou à un autre. Le fait de rédiger ne me plaît pas plus que ça, cela a été dur pour moi d’écrire à peu près correctement car je partais de loin. Quand j’ai commencé à écrire, le fait de faire des phrases en tapant sur mon ordinateur était presque une souffrance. Aujourd’hui ça va mieux mais ce n’est pas une passion non plus. Ce qui me plaît, c'est de mettre mes idées en ordre. De l’idée d’un article à un article terminé, il y a beaucoup de travail (si c’est un livre ou une thèse je ne vous en parle même pas !) J’aime cette sensation d’avoir construit quelque chose en partant de rien. Le travail pour y arriver est souvent pénible mais, au final, cela vaut le coup. Il me semble également qu’écrire des articles de droit m’aide à m’améliorer. Une fois que j’ai finalisé un article, je maîtrise beaucoup plus le sujet sur lequel je me suis penché. Il m’est aussi arrivé d'écrire sur un même sujet très précis trois ou quatre articles différents pour pouvoir enfin me dire que je commençais à réellement en faire le tour et à le comprendre.
Il me semble que chacun doit trouver une motivation dans le fait d’écrire des articles : certains aimeront écrire, d’autres comme moi préfèreront la satisfaction d’avoir mis leurs idées en ordre, d’autres, plus brillants, se diront qu’ils sont agitateurs d’idées et qu’ils vont faire avancer les débats. Il y a peut-être même d’autres sources de motivation auxquelles je ne pense pas mais qui permettent à d’autres d’écrire. Une chose est certaine : il faut trouver quelque chose pour se motiver car partir d’une page blanche pour arriver à un article finalisé et publiable n’est pas chose aisée. C’est un peu comme une salle de gym : si l’on n'y trouve pas un certain plaisir, il sera difficile d’y aller toutes les semaines de façon régulière.

 

Comment fait-on ?

Cela part d’une idée. Je n’ai jamais compris les personnes qui veulent écrire des articles de droit mais qui ne savent pas sur quoi écrire et demandent en conséquence des idées à droite et à gauche... Si vous n’avez pas d’idée, c’est un problème ! De mon côté, les idées ne manquent pas car je travaille dans un secteur qui évolue énormément et qui me passionne : le droit de cinéma et de l’audiovisuel. Pour ce qui est du droit administratif (ma matière de thèse sur laquelle je travaille toujours) la logique est la même : il y a de quoi faire, il n'y a qu'à écouter les informations. Une fois que l’on a eu une idée, il faut la tester. Je me souviens avoir sauté sur des idées qui me paraissaient bonnes mais au final après avoir travaillé, il n’y avait rien à en faire. Dans ce cas, j’abandonne. L’idée peut parfois revenir à l’occasion d’un autre travail et sera incorporée au sein d’un article plus large.
Si après l’avoir testée, l’idée vous paraît bonne, il est temps d’en faire quelque chose de plus concret. Généralement, une fois que j’ai une idée d’article, cette dernière occupe 95% de mes pensées jour et nuit : je ne pense plus qu’à ça jusqu’à ce que l’article soit finalisé. Cette étape me permet de classer mes idées dans ma tête, je range les idées dans des boîtes différentes et ces boîtes deviendront peut-être plus tard les parties de mon plan. Pendant cette période, j'essaie également de déterminer si j’ai des choses intéressantes à dire sur telle ou telle partie du sujet. À ce stade, je peux de nouveau m’apercevoir que finalement je n’ai rien à dire et qu’il vaut mieux abandonner. Si je décide de continuer, je passe devant mon ordinateur et commence à mettre les idées dans un document Word. Soit je commence par un plan, soit je commence tout de suite à rédiger. Cette dernière solution paraît idiote car rien n'est encore bien structuré. Pour autant, je suis parfois pris d’une obligation de me lancer tout de suite dans l’écriture qui devient presque automatique. On verra après pour structurer les idées… À force de travail, j’arrive à avoir un raisonnement structuré et un texte écrit pour expliquer ce raisonnement. L’article est à peu près terminé. Il faut maintenant se relire plusieurs fois. Pour ma part, une fois l’article finalisé, je le relis une première fois pour voir si tout va bien au niveau des idées et de leur enchaînement. Ensuite, je fais une deuxième relecture pour traquer les fautes de frappe, d’orthographe et de grammaire. Je regarde également s’il n’y a pas de phrases trop longues (et donc incompréhensibles) ou de problèmes de syntaxe. Une fois ce travail (essentiel) fait, j’imprime l’article pour faire une nouvelle lecture du même type sur papier (cela me permet de trouver de nouvelles erreurs) ensuite c’est au tour de ma femme de se farcir mon article pour trouver de nouvelles fautes (elle me demande de vous préciser que cette activité n’est pas rémunérée). Enfin, je fais lire l’article à une personne de ma famille pour qu’elle trouve également les derniers problèmes d’orthographe. Entre la finalisation du contenu de l’article et le moment où je le considère comme terminé, il y a donc cinq relectures. C’est un travail de finition, comme pour une pièce que vous refaites dans votre maison ou votre appartement : si l’on fronce les yeux, cela semble terminé mais en réalité il faut encore mettre les plinthes, les joints de finition, les retouches de peinture, les poignées aux portes, la déco, etc. Je ne peux pas livrer l’article à son destinataire tant que je ne l’estime pas parfait (cela n’empêchera pourtant pas les erreurs) à la manière d’un (bon) artisan qui ne livre pas son travail tant qu’il n’est pas finalisé. C’est du travail mais il en résulte la sensation d’avoir finalisé comme il le fallait son article en livrant un travail que l’on juge bon (l’est-il vraiment ? C’est une autre histoire).

 

Combien de temps faut-il pour faire un article ?

C’est très variable. Plus on écrit, plus on va vite et plus on est habitué à structurer ses idées. Selon la taille de l’article et la connaissance du sujet que l'on peut avoir, on va plus ou moins vite. Si l’on me demande d’écrire un article de droit pénal (ce que je suis incapable de faire car je n’ai aucune formation dans cette matière) cela va être très long car je n'y connais rien, je vais donc devoir tout vérifier sans vraiment savoir où chercher. À une époque, j’écrivais beaucoup sur le contentieux des visas d’exploitation attribués aux films sortant en salles de cinéma. Au bout d'un moment, je connaissais parfaitement le sujet et cela me permettait d'aller très vite. Je connaissais l’état du droit et je savais où aller chercher rapidement l’information s’il me manquait quelque chose. Par contre, la satisfaction intellectuelle de s’améliorer sur un sujet que l’on ne maîtrisait pas parfaitement disparaissait petit à petit. Faute de satisfaction, j'ai presque arrêté d’écrire sur cette thématique pour passer à autre chose afin de pouvoir élargir mes horizons. À titre d’exemple, j’ai travaillé cinq ans sur mon sujet de thèse ; après la soutenance, j’ai travaillé sur d’autres thématiques sans jamais revenir à celles liées à mon sujet de thèse. Elargir ses compétences, c’est ce qui me plaît le plus dans la recherche. Ecrire systématiquement sur les mêmes sujets ne me permet pas d'avoir cette satisfaction.

 

Comment le publier ?

Il faut l’envoyer à une revue susceptible d’être intéressée par sa publication. Il faut prendre garde à coller à la politique éditoriale de la revue. Certaines ne publient pas d'article long (plus de 20 000 caractères). Si votre article est long, envoyez-le à une revue qui publie ce type d’article. J’ai également pris pour habitude de coller au modèle de présentation de la revue à qui j’envoie l’article. Si les notes de bas de page sont intégrées directement au texte dans cette revue, je leur envoie l’article sous cette forme. Je ne sais pas si cela a un intérêt mais je fais comme ça. Il peut arriver que les revues vous commandent directement un article en vous contactant mais pour ma part c'est assez rare. Si une première revue ne veut pas vous publier, envoyez à une deuxième, puis une troisième jusqu’à ce qu’une revue vous publie. Ne faites pas d’envoi groupé en proposant le même article à plusieurs revues en même temps. Si elles sont plusieurs à l’accepter, vous allez devoir expliquer que vous avez privilégié une revue à une autre, ce qui risque de vous placer dans une position délicate pour une future publication dans la revue concernée. Vous pouvez aussi contacter la revue avec un projet d’article non finalisé et leur demander s’ils sont intéressés par l’idée. S’ils le sont, vous pourrez ensuite leur envoyer l’article finalisé et ils décideront si, au vu du contenu final de votre article, ils sont toujours d’accord pour le publier.
Au-delà des revues papiers, vous avez aussi des publications en ligne : Dalloz actu ; Le Club des Juristes ; Blip!... Ces publications en ligne sont parfois en accès libre, d’autres pas. Les sites en accès libre vous donnent plus de visibilité, de possibilités de partage en ligne et de lecteurs que les sites payants. L’inconvénient est que bien souvent, vous n’êtes pas payé pour ce type de publication. Ce n’est pas systématique mais c’est majoritairement le cas.
Il existe une dernière possibilité : l’autopublication. Rien ne vous empêche de garder vos articles pour vous et de les publier sur votre blog ou votre site internet. Je le fais à l’occasion pour des petits articles qui n’ont pas forcément leur place dans une revue juridique. Dans ce cas, il faudra faire connaître ce support pour que les articles soient lus. Il est aussi possible d’autopublier des ouvrages, je l’ai fait plusieurs fois.

 

À ce sujet, combien gagne-t-on si on est publié ?

Certaines publications ne vous paient pas. Celles qui vous paient, vous paient peu par rapport au nombre d’heures que vous avez consacrées à la réalisation de votre article. Au maximum, vous pouvez gagner 300 ou 350 euros pour un article mais c’est assez rare. Il est plus fréquent d'être payé entre 100 et 200 euros. Ce n'est pas grand-chose. Si vous avez passé 20 heures sur un article payé 200 euros, vous êtes payé 10 euros de l’heure de travail. N’oublions pas que si une revue à peu près sérieuse vous publie, c’est qu’a priori vous êtes quelqu’un de hautement qualifié avec beaucoup d’études et de pratique derrière vous. Dans ces conditions, 10 euros de l’heure ce n’est pas grand-chose mais c’est la règle du jeu. Une chose est certaine : on n'écrit pas des articles pour gagner de l’argent !

 

Cela sert-il à quelque chose d’écrire un article ? Y a-t-il des suites à un article ?

Comme je l’ai expliqué plus haut, cela vous permet de vous améliorer sur le sujet que vous traitez. Cela vous donne aussi une satisfaction personnelle à savoir finaliser un article en partant d’une page blanche. Au-delà de ça, la réponse n’est pas évidente. La première chose à laquelle on pense, ce sont les lecteurs : l’article va-t-il être lu ? On ne le sait jamais réellement. J’ai écrit environ 70 articles juridiques et plusieurs ouvrages. Qui les a lu ? Je n’en sais rien... Je n’ai presque pas de retours sur mes travaux. Les gens savent qu’ils existent car je suis le roi de l’autopromotion mais les lisent-ils ? Ce n’est pas certain. J’aimerais parfois avoir des discussions avec des lecteurs de mes travaux : « j’ai lu votre article et je suis d’accord ou je ne suis pas d’accord ». Cela serait stimulant et me donnerait l’impression que mes travaux sont lus. Cela ne m’est jamais arrivé ! Je ne sais pas si les autres auteurs ont ce type d’expérience. C’est très frustrant mais je m’y suis habitué. J’essaie de me focaliser sur le fait qu’écrire me donne une satisfaction personnelle tout en m’aidant à m’améliorer et ne pense pas trop au reste.

 

Au-delà des lecteurs, publier des articles a-t-il été utile pour votre carrière?

Pour ma part, cela ne m’a pas apporté grand-chose. C’est très empirique. Parfois vous écrivez un seul article sur un sujet et cela vous ouvre des portes (une proposition de rédaction d’un fascicule du JurisClasseur pour ma part) et, au contraire, vous devenez LE spécialiste d’un sujet ou d’une thématique en écrivant des tonnes de travaux et tout le monde s’en moque. Une chose est certaine, je n’écris pas pour qu’il y ait des conséquences sur ma carrière. Comme je l’ai dit plus haut, je m’en sors en me disant que cela reste un plaisir solitaire pour ma propre satisfaction. Je sais que je ne gagnerai pas d’argent en publiant. Cela me donnera-t-il des opportunités professionnelles ? Ce n’est pas l’expérience que j’en ai. Il y a bien eu quelques opportunités mais rapportées au travail fourni depuis 15 ans pour écrire tous ces articles cela paraît bien dérisoire. De façon plus pratique, avoir réalisé un article publié sur un sujet vous permet d’avoir un écrit qui reste. D’une part, c’est très pratique car cela vous permet d’y revenir (cela m’arrive très souvent car on ne se souvient pas de tout) pour y chercher des informations et, d’autre part, la publication reste, ce qui vous permet de vérifier des mois ou des années plus tard si vous aviez une bonne vision des choses. C’est à double tranchant : si vous avez écrit des choses justes, vous pourrez dire que vous l’aviez bien dit et qu’il est facile de le vérifier ; si vous étiez à côté de la plaque, il y aura toujours des personnes qui sauront vous le rappeler. Moralité : il faut faire attention à ce qu’on écrit car les écrits restent.

 

Marc Le Roy

droitducinema.fr

Retour au site