Quand un rappeur français fait exploser la chronologie des médias
Publié le 20 août 2019
  
  
  Voilà un événement bien singulier qui en dit beaucoup  sur la faiblesse de notre chronologie des médias. La rigidité problématique de  notre chronologie vient d'être illustrée par une affaire a priori anodine. Un  film documentaire a accompagné la sortie d'un album du rapeur français Nekfeu  le 6 juin dernier. Le film fût diffusé sur une journée seulement et a réalisé  100 000 entrées (ce qui est beaucoup). Deux mois plus tard, ce même film sort  sur Netflix en France. 
  Si l'on regarde la chose rapidement c'est  problématique car un film qui sort en salles de cinéma ne peut être disponible  sur Netflix que 36 mois après sa  sortie en salles. Ici, le film arrive sur la plateforme américaine  seulement deux mois après sa  diffusion en salles ! Mais voilà, à y regarder de plus près, ce  film n'est pas considéré comme ayant eu une "véritable" sortie en  salles car projeté sur une séance unique (200 salles tout de même). En  conséquence, le film a a priori reçu un visa temporaire. Résultat : la chronologie des médias ne  s'applique pas à ce film. La procédure du visa temporaire n'est certes pas  nouvelle mais elle concerne ici un film qui a eu une sortie et un nombre  d'entrées importants.
  Pourquoi est-ce problématique ? 
  Tout simplement parce que le message suivant est  envoyé : vous ne voulez pas de la chronologie des médias ? Et bien sortez votre  film de la même façon que Nekfeu et elle ne vous sera pas applicable. Peu  importe que le film ait une sortie nationale dans 200 salles et que vous  fassiez 100 000 entrées, la chrono ne vous sera pas appliquée. 
  Vous suivez mon regard ? Netflix pourrait bien essayer  cette solution à l'avenir avec les œuvres que ce service finance lui-même (ce  qui n'est pas le cas du film de Nekfeu). Pourquoi ne pas faire la même chose avec le prochain Scorsese ? Cela  leur a été refusé avec le film Okja mais avec le précédent Nekfeu, le principe  d'égalité empêcherait le CNC de s'opposer à une sortie salles/Netflix organisée  de la même façon. Pas certain que tout cela plaise aux exploitants... 
  La solution serait de clarifier la situation en  répondant par des critères plus appréciables à cette question : à partir de quand une sortie en salles de  cinéma déclenche la chronologie des médias ?
  Pour le moment la réponse à  cette question est beaucoup trop imprécise et relève de la casuistique. Le Code du  cinéma prévoit par exemple en son article R. 211-45 qu'un visa temporaire (qui  fait échapper un film à la chronologie des médias) est attribué pour une  représentation "locale" d'une œuvre. Une diffusion dans 200 salles  dans toute la France ne me semble pas revêtir ce caractère  "local"... La mise en place de critères plus appréciables  pourrait apporter une souplesse  bienvenue à notre chronologie des médias en évitant une pratique  parfois illisible (pourquoi Nekfeu et pas Okja ?)
  L'établissement de critères définis plus solidement  aura par contre pour conséquence de poser plus clairement la ou les façons de  les contourner. Nekfeu a peut-être sans le vouloir posé une question que  personne ne voulait voir posée.
Marc Le Roy
Docteur en droit
droitducinema.fr